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Allée des Cygnes - Paris 15

L’Allée aux Cygnes : d’hier à aujourd’hui (1ère partie)

Partons à la découverte de l’allée des Cygnes, l’un des plus anciens espaces verts du 15ème arrondissement de Paris. Cette digue artificielle, longue de 850 mètres et large de 11 mètres, troisième île de la Capitale, est aussi un lieu au riche passé que nous allons vous conter !

Tout d’abord, il ne faut pas confondre l’allée des Cygnes actuellement sur la Seine avec l’île des Cygnes plus ancienne. Cette dernière se trouvait à l’emplacement de l’actuel Quai Branly, là où se dressent désormais la Tour Eiffel et le Pont de l’Alma. Le nom de l’allée des Cygnes contemporaine rend hommage à cet endroit disparu, dont l’histoire est digne d’intérêt.

La première île des Cygnes : 1550-1800

Cette ancienne île s’est formée à partir de plusieurs îlots avoisinants, comme nous pouvons le voir sur le plan de Saint-Victor vers 1552. Sur cette carte, apparait à l’ouest de Paris deux îles adjacentes dont l’une porte le nom d’Isle Maquerelle, certainement le patronyme d’un ancien propriétaire. Les abbés de Saint-Germain, qui possédaient également les terres du village de Valgirard, louaient depuis au moins le XIIIème siècle ces îlots aux paysans pour y faire paître leurs bêtes.

Détail du plan Saint-Victor vers 1552 de (copie du sieur Dheulland, 1756-1757). Wikimedia Commons
Détail du plan Saint-Victor vers 1552 de (copie du sieur Dheulland, 1756-1757). Wikimedia Commons

Ces îlots fusionnèrent au XVIIème siècle. Sur le plan de Quesnel de 1609, nous voyons que l’Isle Maquerelle est quasiment rattachée à la seconde île en aval. Si cette première île aux Cygnes dans l’actuel 7ème arrondissement prenait forme, elle n’en portait toujours pas le nom.

Détail du plan de Quesnel, 1609 - Wikimedia Commons
Détail du plan de Quesnel, 1609 – Wikimedia Commons

Sa dénomination remonterait à l’époque de Louis XIV. En 1672, le Roi-Soleil y aurait assigné des Cygnes provenant du Danemark et de la Suède. Confirmant ces dires, le nom de l’Isle aux Cygnes semble apparaître pour la première fois sur les versions réactualisées du plan Jouvin de Rochefort de 1674-1675. Ce toponyme ne s’est pas imposé et durant toute son histoire, le lieu est conjointement nommé dans les ouvrages ou sur les plans, l’Isle Maquerelle, du Mas de Querelle, voire de Grenelle.

Détail du plan Jouvin de Rochefort, version réactualisée de 1674-1675
Détail du plan Jouvin de Rochefort, version réactualisée de 1674-1675

Si le nom de la première île des Cygnes varie selon les plans, elle conserve sur les cartes de la fin du XVIIème et du début du XVIIIème siècle son aspect sauvage. Des arbres éparpillés, quelques cultures et des bêtes y paissant y sont représentées.

Cet endroit se métamorphosa à l’époque de Louis XV. Le souverain, dans les lettres patentes de mars 1721, fait part de son désir de transformer l’île des Cygnes  en « port public pour les bois à ouvrer et à brusler » et destine le lieu aux déchireurs de bateaux.

Cette ancienne profession consistait à démonter sur la grève les anciens navires afin d’y récupérer les planches. Sur le plan de Turgot de 1736, ce nouvel usage y apparait clairement.

Détail du plan de Turgot de 1736 - Wikimedia Commons
Détail du plan de Turgot de 1736 – Wikimedia Commons

Ce choix s’inscrit dans une politique d’urbanisation visant à repousser à la périphérie de Paris les activités encombrantes, insalubres et bruyantes. Dans la même optique, une triperie verra le jour sur cette première île des Cygnes en 1763. Comme précisé dans l’arrêt du conseil d’état du 12 juillet 1760, en ce lieu, les abats d’animaux, déversés en aval de la Seine ne contamineront pas les eaux parisiennes et n’encombreront pas les machines hydrauliques puisant l’eau du fleuve. 

Les machines hydrauliques dont il est question sont les pompes de Notre-Dame et de la Samaritaine qui alimentèrent en eau les fontaines de la ville depuis Henri IV. Près de 150 ans plus tard, les frères Périer obtinrent l’autorisation d’édifier deux autres pompes le long de la Seine. Fonctionnant au charbon, ces ouvrages étaient aussi bruyants que polluants. Ils furent pour cette raison installés à la périphérie de Paris. La première à Chaillot en 1781, la seconde sur cette ancienne île aux Cygnes en 1788, non loin de la triperie et que nous voyons ci-dessous :

Bords de Seine et pompe du Gros-Caillou. Estampe de J. Hill d'après Nattes John-Claude, vers 1800 - Wikimedia Commons
Bords de Seine et pompe du Gros-Caillou. Estampe de J. Hill d’après Nattes John-Claude, vers 1800 – Wikimedia Commons

Le plan des sections de 1792 mentionne la pompe des frères Périer ainsi que la triperie (ci-dessous). L’île jouxte un tissu urbain de plus en plus conséquent et se trouve dans la perspective de l’École militaire, édifiée 40 ans auparavant. Une partie de l’île est déjà intégrée à la terre ferme. Seul un étroit cours d’eau au sud-ouest sépare le lieu du rivage. Cette petite rivière sera comblée par la suite.

Détail du plan des sections, 1792 - Source gallica.bnf.fr
Détail du plan des sections, 1792 – Source gallica.bnf.fr

En effet, l’île des Cygnes n’apparaît plus sur les plans du début du XIXème siècle, époque de son rattachement au Champ-de-Mars. De ce lieu, n’ont subsisté que quelques noms de rue, réminiscence des bâtisses qui furent édifiées sur cette première allée des Cygnes. Sur le parcellaire de 1859 apparait la rue de la Triperie (une partie de l’actuelle rue Jean Nicot) et la rue de la Pompe (désormais disparue).

Parcellaire de Paris de 1859, quartier des Invalides, lot N°34 Archives de Paris - Archives de Paris
Parcellaire de Paris de 1859, quartier des Invalides, lot N°34 Archives de Paris – Archives de Paris

Un projet porté par Charles de Wailly aurait pu cependant sauver cette première île des Cygnes. En 1785, cet architecte néoclassique livre son plan général du projet des embellissements de Paris.

De part et d’autres du Champ-de-Mars, deux projets de construction attirent l’attention. À l’emplacement de l’ancienne île des Cygnes, Charles de Wailly reprend l’idée de son confrère Bernard Poyet de rebâtir en cet endroit l’Hôtel-Dieu.

Vue perspective du nouvel Hôtel Dieu proposé par le sieur Poyet, 1785 - Collection BIU Santé Médecine
Vue perspective du nouvel Hôtel Dieu proposé par le sieur Poyet, 1785 – Collection BIU Santé Médecine

L’hôpital que Bernard Poyet a imaginé s’inscrit dans les grands projets utilitaristes du siècle des Lumières. L’architecte, dans son ouvrage Renouvellement du projet de transférer l’Hôtel-Dieu de Paris à l’Ile des Cygnes présente un hôpital prenant en considération les découvertes médicales de son temps en se basant sur les conclusions de l’Académie des Sciences.

Les malades ne doivent plus coucher à plusieurs dans un même lit, tandis que les espaces de l’hôpital sont suffisamment vastes et aérés pour que l’air puisse s’y renouveler. Sur cette île à faible densité à la périphérie de Paris, les maladies ont moins de chance de se propager. De plus, les jardins alentours, mais aussi les galeries circulaires sont autant de lieux de promenade pour les malades.

Bernard Poyet présente un projet où l’architecture est au service de la salubrité, sans omettre les considérations esthétiques. Dans le même ouvrage que précédemment, l’architecte compare son projet au Colisée de Rome « l’un des plus superbes monuments de l’Antiquité ».

Détail du plan de Charles de Wailly -Source gallica.bnf.fr
Détail du plan de Charles de Wailly avec, en rouge les deux projets qui nous intéressent. En amont, l’Hôtel-Dieu sur l’ancienne île des Cygnes. En aval, le projet de port à l’emplacement de l’actuelle allée des Cygnes – Source gallica.bnf.fr

Dans cette perspective liant esthétisme et utilitarisme, Charles de Wailly met en avant un deuxième projet, cette fois à l’ouest du Champ-de-Mars. Un bassin circulaire à l’emplacement de l’actuelle allée des Cygnes. Sous le plan de Charles de Wailly, nous pouvons lire le texte suivant concernant ce projet :

« La Halle au blé étant reconnue insuffisante pour les approvisionnements de Paris, on a cru devoir y suppléer en établissant au bord de la rivière après l’ile aux Cygnes un cirque qui symétriserait  avec l’hôtel-Dieu projeté et où les bateaux pourraient entrer pour y rester chargés pendant l’hiver si les magasins étaient assez remplis. On se servirait aussi l’été de ce bassin pour y faire des joutes et y apprendre à nager. Le soubassement du cirque au niveau de la rivière servirait de bains publics. »

Cette proposition resta lettre morte. Elle est cependant la première en date portant sur la création d’un port à l’emplacement de l’actuel quai de Grenelle, augurant déjà du développement de cette zone quelques décennies plus tard…

A suivre… : L’Allée des Cygnes, du port à la promenade (1825-1878)

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Alexandre Guth

Diplômé d’histoire de l’art et d’archéologie, Alexandre travaille dans le secteur de la culture. Il conçoit notamment des parcours axés sur la découverte du patrimoine citadin (Paris, Prague, Budapest,…). Sur Valgirardin, Alexandre présente chaque mois les lieux insolites du 15ème arrondissement.

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