La Maison de la Culture du Japon à Paris s’intéresse au phénomène hikikomori, très présent au Japon, mais aussi en France. Elle organise le samedi 19 septembre 2015 la projection du film De l’autre côté de la porte de Laurence Thrush, premier film du cycle « Paysages du cinéma japonais ».
Elle sera suivie d’un débat où sont conviées la sociologue, Maïa Fansten et l’anthropologue Cristina Figueiredo, de l’Université Paris Descartes. Elles ont participé, avec Natacha Vellut notamment, à une étude collective sur le phénomène hikikomori chez les adolescents en France.
Un sujet « à la mode » cette saison, puisque le Monfort Théâtre proposera une pièce sur ce thème, Hikikomori – Le refuge, en janvier prochain. Surtout destinée aux enfants et aux adolescents, ils auront l’occasion de s’exprimer sur leur ressenti à l’issue de la représentation.
Natacha Vellut, Chercheur et psychologue au CNRS et psychanalyste, co-auteur de l’ouvrage Hikikomori, ces adolescents en retrait (Armand Collin), a accepté de nous parler de ce phénomène.
Quelle est l’ampleur du phénomène hikikomori en France ?
Natacha Vellut : Ce phénomène existe en France, mais il est difficile de donner des chiffres précis ou de démontrer son évolution. Son importance est déduite de plusieurs autres études, sur le décrochage scolaire, le décrochage des étudiants, qui est très important en université, et la solitude en France. Les chiffres donnés sont assez impressionnants.
Attention, tout décrocheur, ou toute personne seule, n’est pas une personne en état dehikikomori. Ce phénomène vient du Japon où il est étudié et défini en tant que tel. Il touche des jeunes de moins de 30 ans qui se retirent de toute activité sociale. Ils ne s’inscrivent plus dans les liens sociaux que l’on attendrait d’eux à leur âge : ils ne travaillent pas, ne font pas d’études, et n’ont pas non plus de relations amicales et/ou amoureuses suivies.
Ce phénomène touche-t-il une certaine catégorie de personnes ?
N.V. : Ce phénomène atteint surtout les garçons et concerne un peu toutes les catégories sociales. Nous avons repéré qu’il touche plutôt des familles croyant à l’école et à la réussite professionnelle. Elles ne sont ni délinquantes, ni dysfonctionnelles. Les garçons ne sont pas forcément de mauvais élèves.
Cela se dit peu, mais le système scolaire japonais, reconnu comme exigeant, est souvent comparé au système français. D’après les professionnels de l’éducation dont je ne suis pas, il y a ce point commun d’un système assez élitiste, assez « rouleau compresseur ». Ca passe ou ça casse. Pour un certain nombre d’ados, ça casse. Il y a là un problème de pression et d’exigence scolaire qui sont sans doute trop fortes.
La pression scolaire est-elle la principale raison du décrochage de ces jeunes ?
N.V. : Non, cela ne suffit pas. Il y a aussi une forme de complaisance familiale, même si le mot est un peu fort. Pour qu’un jeune soit hikikomori, il faut qu’il puisse se retirer chez lui et que quelqu’un paie pour lui, sa nourriture, son loyer. Toutes les familles ne tolèrent pas cette situation. Certaines vont pousser les ados, qui interrompent leurs études, à travailler pour se débrouiller.
Les familles qui acceptent, mettent le petit doigt dans l’engrenage. Les parents ne s’inquiètent pas tout de suite car le symptôme n’est pas très agressif, comparé à une tentative de suicide ou à la prise de drogue. Par ailleurs, l’enfant peut garder d’assez bonnes relations avec ses parents, continuer à prendre ses repas avec eux. Le problème majeur est que cette conduite s’auto-renforce. Plus elle s’installe, plus elle se conforte, plus il est difficile pour le jeune de s’en sortir.
Si ce phénomène s’installe progressivement, y a-t-il des signes avant-coureurs ?
N.V. : Les premiers signes précurseurs sont des maux symptomatiques, comme des maux de ventre, et le fait de plus vouloir aller à l’école. Sans dramatiser, cela doit devenir inquiétant quand un enfant se retire socialement même si au départ c’est juste pour la semaine. Un enfant, même si je n’aime pas ce mot-là comme psy, est « programmé » pour grandir. Quand il s’arrête, il faut s’interroger : a-t-il peur, est-il mal dans son corps ? L’important est d’essayer de conserver un dialogue, même si ce n’est pas toujours évident. L’enfant doit savoir qu’il peut s’exprimer s’il ressent un malaise quelconque.
Pourquoi s’interroge-t-on aujourd’hui sur ce phénomène, qui existerait depuis longtemps pour certains ? Internet a-t-il un rôle ?
N.V. : Même si nous ne pouvons pas faire l’équation simple « usage abusif d’internet = hikikomori », nous constatons que l’utilisation d’internet accompagne souvent le retrait social, en donnant à ces jeunes l’impression d’être toujours dans le monde, alors qu’ils n’y sont plus… Au Japon, le développement d’internet a correspondu aux débuts du phénomène.
L’état de hikikomori, c’est juste une conduite. Il peut y avoir sous ce terme beaucoup de gens différents. Je pense que l’intérêt pour ce phénomène aujourd’hui s’explique par la difficulté à catégoriser certaines personnes. L’isolement peut être l’un des symptômes de maladies comme la dépression longue, le début de schizophrénie ou des troubles du spectre autistique. Leshikikomoris n’ont pratiquement que ce seul symptôme : ils s’isolent et c’est tout. C’est un phénomène auquel on a du mal à donner des causes pathologiques. Par conséquent, il devient une question plus sociale, plus anthropologique.
Pouvez-vous nous présenter votre ouvrage collectif Hikikomori, ces adolescents en retrait ?
N.V. : Nous avons été amenées à nous intéresser à ce phénomène il y 2 ou 3 ans, après avoir été contactées par des collègues japonais. Ils voulaient savoir si ce phénomène existait en dehors du Japon, où il est très présent. Nous avons accepté de collaborer avec eux et commencé notre recherche.
Nous avons mis en place un réseau de cliniciens (psychiatres, psychologues, psychanalystes), de socio-anthropologues et de professionnels de l’institution scolaire. Ce livre est le fruit de ces recherches franco-japonaises.
Nous avons confié au sociologue Alain Ehrenberg, un chapitre introductif à cet ouvrage, sur l’autonomie dans nos sociétés. Nous considérons, comme lui, que ces valeurs d’autonomie imposées à chacun d’entre nous sont extrêmement pesantes. Ce n’est pas aussi simple que cela pour chacun d’entre nous de se débrouiller dans la vie, de réussir par ses propres moyens.
Hikikomori, ces adolescents en retrait (Armand Collin), De Maïa Fansten, Cristina Figueiredo, Nancy Pionné-Dax et Natacha Vellut
Projection-débat « De l’autre côté de la porte » – Samedi 19 septembre 2015 à 14h30 à la Maison de la Culture du Japon à Paris
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