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Parc André Citroën - Jean-Paul Viguier architecte (c) Adrien Buchet

Parc André Citroën : Droit de réponse de Jean-Paul Viguier, architecte

A la suite de notre article Parc André Citroën : un grand canal à l’abandon et une rénovation interminable, publié en date du 13 avril 2018, Jean-Paul Viguier, l’un des architectes du parc a souhaité exercer son droit de réponse :

Le projet du Parc André Citroën est issu d’un concours international lancé par la Ville de Paris en 1985 qui souhaitait réaménager les terrains des anciennes usines Citroën par la création d’un Parc de 14 hectares en bordure de la Seine ; de nombreuses équipes d’architectes associés à des paysagistes pour la plupart déjà renommées ont proposé un projet parmi lesquels celui des architectes Jean-Paul Viguier et Patrick Berger associés aux paysagistes Gilles Clément et Allain Provost  a été choisi par un jury présidé par Guy Surand, alors Directeur des Parcs et Jardins, qui en rendait compte à Jacques Chirac, Maire de Paris. Ce dernier avait personnellement souhaité la création de ce grand Parc, le plus grand créé à Paris depuis le Second Empire. Cette compétition sur un sujet déterminant pour l’avenir des villes avait été largement relayée et commentée par la presse internationale et le projet lauréat a fait le tour des rédactions internationales venant deux ans après celui du Parc de la Villette, dont les objectifs étaient sensiblement différents.

La conception architecturale et paysagère de ce parc est composée à partir de lieux assemblés par une structure d’ensemble faite de lignes rigoureusement tracées et délimitant des surfaces, des rythmes, des correspondances, et des perspectives : ces lieux associés à des thèmes donnent une lecture poétique du paysage au travers d’une succession de jardins, dont la localisation dans l’espace du parc est réglée avec une grande précision par le tracé d’ensemble. Ce dispositif de conception est appliqué en plan mais aussi en coupe par les déclivités mises en place dans les jardins eux-mêmes (coursiers d’eau, grand canal, nymphées, parvis des serres, , etc.…), mais aussi sur le plan d’ensemble du Parc, dont la déclivité la plus spectaculaire est la pente continue en plein jalon, descendante vers la Seine que l’on peut atteindre pour la première fois à Paris sans discontinuité jusqu’au quai. Ce dispositif glisse le Parc entre le viaduc aérien du RER et les voies sur berge qui au passage du Parc ont été enfouies dans un tunnel. Ceci ouvre depuis l’espace central du Parc une perspective saisissante sur la Seine et une vue sur les bateaux amarrés le long du Quai.

Parc André Citroen Paris 15eme arrondissement (c) Jean-Paul Viguier

La composition du Parc met donc en relation un ensemble de jardins thématiques en relation avec un espace vide central permettant les longues perspectives, cet espace jouant un rôle fédérateur en contre point des jardins thématiques, et conférant au Parc André Citroën son échelle de Parc Urbain Parisien, dont la perpendicularité à la Seine le compare au Parc du Champ de Mars, à l’Esplanade des Invalides et au Jardin des Plantes.

Les matériaux qui permettent de bâtir cet univers paysager sont le végétal formant une architecture sous des formes très élaborées, le minéral, le bois, le métal, le verre et surtout l’eau qui ici va accompagner et révéler à la fois la thématique des jardins (nymphées, bassins, jets et fontaines), et souligner le tracé d’ensemble du Parc (Grand Canal, coursiers d’eau, lisière du vide central) et parachever le design du Parc par son débouché sur la Seine.

Cette courte introduction est nécessaire pour montrer que le Parc André Citroën n’est pas « un espace vert planté » ou encore « un lotissement de jardins », mais bien une œuvre architecturale et paysagère à part entière dont toutes les parties contribuent à l’intégrité du projet sans qu’il soit possible d’en modifier une seule sans affecter tout l’ensemble. Le maintien du plan dans le temps est donc la seule voie possible : cela réclame un entretien attentif de tous les éléments constitutifs du projet, ce qui a été le cas pendant les premières années après l’ouverture du Parc au public en 1992. Par la suite, deux événements ont fait basculer le Parc dans cette spirale de la détérioration progressive des lieux menant aujourd’hui à ce mouvement de protestation générale sur son état. Le Parc a d’abord été victime de son succès : sa forte fréquentation auprès des habitants du XVe arrondissement d’abord puis rapidement d’un public venu d’un peu partout créait une exigence de renforcement de son entretien, ce qui à l’évidence de son état d’aujourd’hui, n’a pas été le cas.

Parc André Citroen - peristyle d'eau - Paris 15eme arrondissement (c) Jean-Paul Viguier

Invoquer « son défaut originel de conception » est surréaliste s’agissant d’une œuvre plébiscitée et dont la construction a été particulièrement soignée par le choix de matériaux pérennes (pierre du Hainaut, granites, bois imputrescibles, …), des systèmes de fontainerie choisis et mis en place par des fontainiers renommés et expérimentés, de serres froides, méditerranéennes et tropicales par des entreprises hautement spécialisées, et de tout un ensemble de matériel végétal choisis et planté sous la direction exigeante des deux paysagistes de notre équipe. C’est se tromper de cible que de mettre en cause les concepteurs du Parc lorsque sa dégradation est mise en avant : ce Parc réclame un entretien permanent et adapté dont le défaut dans le temps entraine d’une manière exponentielle sa détérioration. Laisser les dalles de pierre décollées ou ne pas remplacer celles brisées, abandonner le Grand Canal vidé de son eau, son liner d’étanchéité à l’air, déchiré par les mauvais traitements, en faire de même avec la lisière d’eau autour de l’aire centrale du Parc, les coursiers d’eau qui amenaient l’eau en cascade jusqu’à des bassins dorénavant vides ou croupissants, laisser à sec les bassins desquels émergent les grands magnolias, en panne les sources d’eau des Nymphées, ne pas remplacer les garde-corps vitrés du bord du canal, ne pas repeindre le Grand Viaduc du RER sous lequel passe le Parc avant d’atteindre la Seine, remplacer les plantes persistantes par des annuelles, laisser les plantes tropicales de la Grande Serre disparaître sans les remplacer, laisser les jardins blanc et noir à l’abandon… c’est tout cela qui ne va pas.

Grand Canal - Parc André Citroen - Paris 15eme arrondissement (c) Jean-Paul Viguier
Le Grand Canal à l’ouverture du parc © Jean-Paul Viguier Architecte

L’autre événement fait suite à un appel que j’ai reçu en 1999 du Maire de Paris, me demandant notre accord pour installer provisoirement sur l’espace centre du Parc, un ballon captif pour célébrer le passage du siècle : c’était en l’an 2000. Je n’avais pas de raison de refuser l’excitation millénaire. Un bâtiment en bois « musée ! » fut construit entre deux coursiers d’eau en bordure de l’espace central faisant face à un ballon captif dont les câbles d’amarrage couvraient un cercle beaucoup plus large que le ballon lui-même, neutralisant ainsi l’accès du public sur une zone importante de cet espace. Mais c’était provisoire. Le temps a passé mais le ballon est resté malgré mes protestations auprès du Maire, il s’est installé de manière définitive. J’avais écrit au Maire que « le vide est, par le ballon et ses installations au sol, neutralisé et encombré, modifiant profondément la perception de l’architecture même du Parc, ainsi que son échelle et la pratique par le public. De plus un très vilain bâtiment provisoire contenant machines, musée (!!!) et l’espace-vente de billets a complètement détruit l’espace entre deux coursiers d’eau et le jardin correspondant, rendant illisible le rythme et les séquences des serres froides. Enfin la pratique de l’espace central par le public telle que prévue par le projet est profondément et négativement modifiée de même que la descente régulière vers la Seine que le public apprécie tellement et qui a été particulièrement difficile à réaliser.

Cet épisode a montré, en désacralisant le projet, qu’il était possible de le modifier en dehors de ses principes originaux de conception et a probablement démobilisé tous ceux qui faisaient leurs meilleurs efforts, par l’entretien notamment, pour maintenir la qualité du Parc a son meilleur niveau malgré l’usure du temps et de la fréquentation toujours plus grande. L’arrivée d’une activité « commerciale » (le ballon Generali) – d’autres sont annoncées pour les Serres –, sont des signes d’un désintérêt croissant de la Ville pour l’un de ses plus grands Parcs, dont elle avait pourtant fait un de ses thèmes urbains majeurs, gage de sa modernité.

Jean Paul VIGUIER, Architecte

Anne-Marie Leca

Journaliste, créatrice de Valgirardin.fr, Anne-Marie vit et travaille dans le 15ème arrondissement depuis plus de vingt ans.

5 commentaires

  • Etonnantes les raisons données pour expliquer l’état calamiteux de ce jardin. Loin de se remettre en cause Môssieur VIGUIER persiste et signe. Trop de monde dans un jardin c’est effectivement inadmissible. S’est-il parfois promené à Bagatelle, au pré Catelan, aux Tuileries etc… où comme chacun sait les touristes sont rares !!!! Si c’est un jardin-image où personne ne doit aller, il faut le préciser et …. le fermer au peuple !
    Encore quelques années, et il pourra prendre le titre de « jardin en ruine » qu’on viendra « admirer » pour la qualité de la conception qu’avaient les successeurs de LE NOTRE au XX° siècle. Un jardin « sacralisé » ça veut dire quoi exactement ? Pas d’enfants à jouer, pas de promeneurs qui abîment les « canaux » en les regardant,
    bref un beau gâchis.

  • Ce droit de réponse illustre parfaitement la manière de commander, de concevoir et de réaliser les ouvrages publics.

    Ce parc a été réalisé à grands frais, ce qui en soi n’a rien de choquant pour une capitale comme Paris. Napoléon III avait aussi lui aussi largement dépensé pour verdir la capitale. Cependant grande est la différence : alors que les parcs du second empire ont été conçu pour créer d’agréables promenades aux parisiens avec des nécessités d’entretien raisonnables à la portée d’une équipe de jardiniers, le parc André Citroën est une magnifique création intellectuelle, une « Œuvre architecturale et paysagère à part entière » qui « réclame un entretien permanent et adapté. »

    C’est bien là le problème : commander la réalisation d’un jardin eut été ordinaire, rien à voir avec l’extase d’une œuvre, la griserie de faire le choix de la Pensée Supérieure, la satisfaction d’oublier les contingences matérielles…

    Il a raison M. Viguier, pourquoi serait seul responsable de ce désastre ? Il a conçu un beau projet, et son rôle n’est pas « d’être sûr(s) que les fonds seraient toujours là pour le(s)maintenir ». L’erreur est ailleurs, c’est avant tout celle des élus qui ont préféré nier la fonction première du lieu (donner un espace de détente aux habitants en permettant à leurs enfants de se défouler) en méconnaissant les conséquences financières de leur décision.

    Et arguer comme justification en conseil de quartier d’un défaut de conception et d’une fréquentation qui n’avaient pas été prévue au départ et à la fois pitoyable et honteux, comme si les parcs Montsouris, des Buttes Chaumont étaient désertés ce qui expliquerait leur état de conservation…

  • C’est en effet une oeuvre intellectuelle, sans souci de son usage. Des le début les jardiniers se sont plaints des plantes inadaptées qui ne prenaient pas, et les visiteurs des explications absconses sur jours, métaux, symboles, planètes … des jardins côté ville. Moi je me plaint des allées trop étroites et dont on ne peut s’echapper, de la place perdue à cause des charmilles, de l’inconfort des bancs et de l’absence d’ombre 20 ans après l’ouverture!!!! Les autres parcs cités sont tous agréables. J’y ajoute le parc Brassens et le parc des hauts de Batignoles !

  • C’est un parc conçu comme un musée et organisé uniquement pour la déambulation. Ceux qui déclarent l’aimer sont des primo-visiteurs, touristes souvent, ou des gens venus courir. Les habitants qui l’apprécient en réalité n’en aiment que le coin pseudo-sauvage au fond à droite, ainsi qu’ils le déclarent des que l’on insiste un peu, et peut-être la nouvelle partie en face de l’hôpital.
    Les squarres de l’arrondissement ont tous plus de charme ou d’agrément!

  • Compte tenu de l’importance des impôts payés par les particuliers et les entreprises à Paris la ville a largement les moyens d’entretenir ce parc Mais ce quartier de Balard bourré de HLM intéresse t il notre très Bobo municipalité ??? En tout cas ma promenade de ce matin Dans ce parc sans jeux d’eau et sans canaux laisse une impression de gâchis