« D’être une femme ne vous destine pas à la grossesse, ça marche dans l’autre sens » clame Judith sur scène, l’un des deux personnages du spectacle Au Départ…, mis en scène par Jacques Grange. La pièce, adaptée du livre Au début de François Bégaudeau, présente le récit de deux femmes et leur rapport à la maternité tout au long de leur vie.
Quand l’ombre se fait maître de la scène, Judith et Emmanuelle, interprétées par Yasmine Bargache et Cécile Martinet, arrivent et dansent. Cette chorégraphie, à la fois obscure et pourtant intuitive, n’est pas la dernière que donneront les deux comédiennes. « Nous voulions parler de la maternité. Or, la maternité, c’est le corps. Sur un plateau, il n’y a pas de meilleure façon d’exprimer ce qu’est le corps qu’en dansant », indique Jacques Grange. « Le texte original est très riche et on a eu envie de faire ressortir et résonner cette richesse sur le plan théâtral. »
Tout au long de la représentation, les comédiennes alternent donc entre les genres, allant du burlesque à des registres plus sérieux, en passant par des phases muettes où seuls les corps, les jeux de lumières et les sons rendent les émotions. « La première chorégraphie a été pensée pour traduire le refus de l’enfant » explique Jacques Grange.
En effet, Emmanuelle et Judith ne souhaitent pas être mères, à l’origine. La première a largement souffert de l’attitude toxique de sa propre mère et craint de reproduire le même schéma. La seconde rejette en bloc le concept de féminité et se vit davantage comme un garçon, au moins dans les premières années de l’âge adulte.
Au gré de la vie, des circonstances et des amours, leurs certitudes se fragilisent souvent, se renforcent parfois et finissent finalement par se briser. Avec des mots crus, sans concessions ou complexes, mais aussi avec un humour décapant, elles livrent les histoires qui les ont poussées à la maternité.
« Le projet initial est celui de Yasmine Bargache, qui m’a contacté ensuite pour le mettre en scène. La maternité est un sujet dont on parle très peu. J’ai eu envie d’accompagner son projet parce qu’on manque d’occasions d’en parler. À mes yeux cela en fait un champ à explorer » souligne le metteur-en-scène.
Pour Yasmine Bargage, « ce temps vécu hors du temps par les mères provoque trois attitudes stéréotypées. On minimise l’impact et l’étrangeté de cette expérience, on la magnifie bé(a)tement, ou encore on la résume à un rapport conflictuel avec la médecine. »
La liberté de ton des comédiennes donne lieu à des tirades mémorables, très souvent drôles. Elles nous brossent un tout autre portrait de la grossesse, de ses suites et de son impact au quotidien. En jonglant avec les genres et les styles, Au Départ… sait rendre les différentes émotions qui bouleversent Emmanuelle et Judith.
« Cécile et Yasmine ont construit elles-mêmes leurs personnages » indique Jacques Grange. « Les histoires de Judith et Emmanuelle sont tirées des témoignages recueillis par François Bégaudeau. Dans la nouvelle, les personnages ne sont pas dessinés très clairement. Cela change beaucoup des pièces plus classiques ou ils sont très établis. »
La mise en scène, très sobre, est propice au renouvellement des atmosphères. Les chorégraphies rythment le spectacle et le font parfois vibrer. Enfin les personnages viennent parachever les points forts du spectacle. Emmanuelle et Judith jouissent d’une qualité d’écriture admirable en plus d’êtres interprétées avec entrain et passion.
Difficile de ne pas se prendre d’affection pour elles, de les accompagner dans ce qu’elles traversent.
Le spectacle Au Départ…, éligible aux P’tits Molières 2018, est joué au Théâtre de la Croisée des Chemins (43, rue Mathurin Régnier) jusqu’au 3 novembre 2017.
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