L’atelier Barillet par Mallet-Stevens, qui accueillait encore récemment le Musée Mendjinsky-Ecoles de Paris, revit le temps d’une exposition, Traversées. Trois artistes mettent l’accent sur la lumière, la résonance des matériaux, du geste, du faire…
Sylvie Lobato, Maud Thiria et Jérôme Vinçon travaillent chacun des matières différentes et partagent ce parcours : respirer la lumière, toucher l’ombre, esquisser l’empreinte. Travail sur le corps pour les unes et sur le paysage pour l’autre. Mais tous ont en commun un rapport à la mémoire qui résonne en eux de manière particulière.
« Je porte en moi toutes les histoires de mes grands-parents, de la guerre civile espagnole, » confie Sylvie Lobato. « J’ai l’impression de m’approcher d’une forme de mémoire, raison pour laquelle l’os m’intéresse, la peau, les scarifications, tout ce que les gens peuvent dire avec leurs tatouages, tous les palimpsestes, tout ce qui va grésiller à l’œil, au touché, au ressenti physique, au souffle. Les secrets de famille font que l’on ne nous dit rien, qu’il y a des choses à deviner. J’ai l’impression sur la toile, sur le papier, de m’approcher d’une forme de vérité qui serait très personnelle. Je me raconte l’histoire de ma famille avec les bribes d’histoire que je connais dans le mutisme le plus total. »
Sylvie Lobato expose une œuvre tout en contraste, entre la noirceur des huiles sur toile et la légèreté, voire la fragilité, de ses créations sur papier à base de gazes et de non-tissés, qu’elle nomme pétales de peau.
« Je ne m’investis pas du tout de la même manière sur une toile où il y a une forme de combat. Il ya quelque chose qui m’attire dans la puissance de la peinture. Avec le papier, il y a plus de douceur. La fragilité des fibres me porte moins à l’invasion de ce territoire. Le geste est plus doux, car je n’ai pas envie de le détruire. La toile est plus résistante, avec une force physique supplémentaire, un moment de vie très fort. »
Pour leurs créations, Maud Thiria et Jérôme Vinçon font aussi appel à leur mémoire sensorielle et « transgénérationnelle ».
« J’ai le sentiment, l’intuition que les recherches génétiques sont à leur début. Ce qui peut passer dans nos gênes de génération en génération, reste encore assez mystérieux. J’ai le sentiment que nous portons en nous une part de l’Humanité. » Jérôme Vinçon précise, lorsque la création émerge, « nous ne savons pas vraiment si elle vient de notre propre vie, de la vie d’autres qui nous habitent, nos ancêtres, révélés par une sensibilité, une vibration intérieure. »
L’artiste, également architecte, s’intéresse aux paysages, qu’il dessine à l’encre et au café. « Face à certains couchers de soleil, sur des bords de mer, je me suis souvent fait la réflexion que probablement les premiers hommes devaient aussi regarder ce spectacle. Finalement, ce qui peut me relier fondamentalement à eux ce sont ces couchers de soleil, un cliché absolu d’une beauté infinie. »
Maud Thiria expose ses corps qu’elle trace à mains nues avec de la craie grasse, de l’aquarelle ou du café. « J’ai toujours écrit de la poésie. C’est plus cérébral. J’avais besoin d’en passer par le corps de manière assez totale, proche de l’art brut. Les corps sont toujours tracés au doigt, avec directement la peau sur le papier. Certains ont même mes empreintes digitales. »
Ses œuvres ont, elles aussi, trait à la mémoire. « Ce que j’écris est assez lié au souvenir, celui de l’enfance. Tracer des corps rejoint pour moi l’écriture. En travaillant sur ces apparitions, disparitions, c’est une forme de réalité qui survient, mais qui passe à travers moi, les strates de ma mémoire. Ce sont des corps qui ne sont pas spécialement moi, mais sans doute des êtres qui me traversent. »
L’exposition Traversées, est à découvrir jusqu’au 31 mars 2017 au 15 square de Vergennes.
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