Anne-Marie Leca« Emile Savitry n’a pas la place qu’il mérite dans l’histoire de la photographie de cette époque », confie Sophie Malexis, commissaire de la très belle exposition consacrée à ce photographe injustement oublié, au Musée Mendjisky-Ecoles de Paris. L’époque en question est celle du Montparnasse des artistes, des années 30 à 50, avec ses ateliers et ses boîtes de jazz. Dans une seconde partie, l’exposition lève le voile sur le film maudit de Marcel Carné, La fleur de l’âge, écrit par Jacques Prévert, dont les photos de Savitry sont l’unique témoignage visuel.
Alors qu’elle préparait une exposition sur le quartier Montparnasse, Sophie Malexis tombe sur des photos de cet Emile Savitry. « Cela a été, pour moi, un déclic formidable. J’ai vu que ce travail était parfaitement méconnu pour la simple raison qu’il y a très peu de tirages originaux. J’ai trouvé des centaines et des centaines de négatifs conservés dans des pochettes sous cellophane et dans des petites boîtes en bois. Je me suis donnée pour but de réveiller cette belle endormie et de faire mon possible, accompagnée par son fils, qui m’a donné toute autorisation, pour révéler cette œuvre méconnue. »
La première partie de l’exposition reflète l’atmosphère du Paris des artistes et le parcours d’un photographe proche des surréalistes. Peintre lui-même, Emile Savitry a immortalisé son temps, son quartier de Montparnasse, avec l’Académie de la Grande Chaumière, les cafés, La Coupole en tête, les boîtes de jazz, les ateliers d’artistes… Ami de Django Reinhardt, Brassaï ou Prévert, il a photographié les plus grands. Photoreporter pour la presse illustrée, il a travaillé également sur les plateaux de cinéma.
Le film maudit de Carné
C’est ainsi qu’Emile Savitry se retrouve sur le tournage de La fleur de l’âge, à Belle-Ile, qui sera la dernière collaboration entre Marcel Carné et Jacques Prévert. Cette seconde partie de l’exposition raconte l’histoire de ce tournage malheureux, avec au générique Arletty, Serge Reggiani, Paul Meurisse et Anouk Aimée. L’histoire est rocambolesque et tragique : grève des techniciens, gouffre financier, noyade d’un figurant, conditions de tournage difficiles, mésentente entre Carné et Prévert,…
Les deux copies du film, comprenant les rushs et un montage de 20 minutes, ont disparu au début des années 50. Les photos d’Emile Savitry sont le seul témoignage visuel de se tournage interrompu au bout de trois mois.
Pourquoi Emile Savitry est-il resté dans l’ombre ? A cette question, Sophie Malexis avance son explication « C’était un homme discret qui ne cherchait pas à se mettre en avant, mais surtout, à la différence de photographes de sa génération, il n’a pas passé le cap des années 70. Il est mort en 1967. Or, toute la photographie de cette époque-là a été révélée avec l’arrivée des Rencontres d’Arles. » Puis, elle ajoute, « la mentalité des photographes de cette époque n’était pas du tout de faire recette. L’idée de l’exposition, d’un marché de l’art est venue bien après. Ces gens-là, ils travaillaient pour vivre, ils œuvraient pour leur propre compte ou aussi pour la presse. Pour beaucoup d’entre eux, ils étaient dans le « faire », ils n’étaient pas dans la monstration. »
L’exposition Emile Savitry, un photographe de Montparnasse est à découvrir au Musée Mendjisky-Ecoles de Paris, jusqu’au 5 octobre 2016.
Crédit photo couverture : Anouk Aimée (Barbara) et Tulipe sur le tournage de « La Fleur de l’âge » de Marcel Carné et Jacques Prévert, Belle-Île 1947 © Photo Émile Savitry courtesy Sophie Malexis
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