Sur cette photographie, vous avez certainement reconnu l’entrée du parc Georges Brassens, occupant le site des anciens abattoirs de Vaugirard, en activité de la fin du XIXème siècle jusqu’en 1978.
Pour comprendre pourquoi un tel complexe fut édifié en ce lieu, il faut remonter à l’époque médiévale. En cette ère, les bouchers abattaient les bêtes près de leurs étals, au sein même de la capitale. Les carcasses des animaux, abandonnées en pleine rue, pouvaient propager des épidémies. À cette vision horrifique, se mêlaient les cris de bestiaux agonisants et l’odeur putride des abats. Parfois, un bovin terrifié tentait d’échapper à son destin et se ruait à travers les sentiers… écornant sur leur chemin quelques badauds.
D’un empereur à un autre
Afin d’assainir la capitale, Napoléon 1er souhaitait concentrer l’abattage des bêtes au sein de complexes en dehors de la ville. À cette fin, l’empereur ordonna en 1810 la création de cinq « tueries » à la périphérie de Paris, à Miromesnil, Villejuif, Ménilmontant, Montmartre et… Grenelle.
Si la construction de ces abattoirs fut décidée en 1810, ceux de Grenelle ouvrirent leurs portes en 1818. Ce complexe apparait sur le plan topographique de Paris de 1837 d’Alexis Donnet, portant le numéro 34. Nous découvrons que ce lieu d’abattage bordait la demi-lune de la place de Breteuil ainsi que le boulevard de Sèvres.
Ces sites, disséminés à travers Paris connurent une courte durée de vie. Dans le cadre des travaux haussmanniens, les abattoirs de la Villette furent édifiés de 1860 à 1867, afin de de regrouper en un lieu unique l’abattage du bétail. Le site se dressa à proximité de la petite ceinture, voie ferrée bordant Paris, afin d’approvisionner sans peine le lieu en bovins.
Naissance des abattoirs de Vaugirard
Face aux besoins croissants de la capitale, un autre site d’abattage vit le jour une trentaine d’années plus tard, à l’emplacement des vignes du clos des Morillons. Il s’agit des abattoirs de Vaugirard, également édifiés à la périphérie de Paris et le long de la petite ceinture.
En fonction des sources, le complexe ouvrit ses portes de 1896 à 1898. Cependant, les abattoirs de Vaugirard apparaissent pour la première fois sur le plan de Paris monumental de 1890, sous une forme schématisée. La construction du site aurait-elle été planifiée dès cette date ?
De l’agriculture à la culture
Quoi qu’il en soit, pendant presque un siècle, les abattoirs de Vaugirard animèrent la vie du quartier, parfois de manière surprenante. A proximité du site, demeurait la Ruche, une cité d’artistes ayant hébergé des sculpteurs et des peintres réputés, dont Marc Chagall. Ce dernier, influencé par les abattoirs à proximité, représenta des bovins dans plusieurs de ses créations. En atteste l’huile sur toile Moi et le village, réalisée en 1911.
Une autre œuvre s’avère plus encore intimement liée au lieu. Il s’agit de l’un des deux taureaux en bronze surmontant les arcs de l’entrée des abattoirs de Vaugirard. Le sculpteur Isidore Bonheur fondit deux statues de taureaux en 1865. Ces représentations massives de bovins ornèrent d’abord le champ de Mars lors de l’exposition universelle de 1878 et reçurent une médaille d’or pour en 1889. L’un de ces bronzes orne désormais l’une des deux arches des abattoirs de Vaugirard, tandis que la deuxième sculpture, celle avec le bovin tête baissé, prône au-dessus de l’entrée de la grande halle des abattoirs d’Anderlecht à Bruxelles, à moins qu’il ne s’agisse d’une copie…
Face à cet imbroglio, revenons à Vaugirard et à son ancien lieu d’abattage. Ce dernier fut également au centre d’un ancien événement culturel populaire dont les origines se perdent dans les affres du Moyen Age. Il s’agit du carnaval de Paris, se déroulant dans le cadre des festivités du mardi gras. Depuis les abattoirs, un surprenant cortège déambulait à travers les rues de la capitale. Ce thiase, composé de bouchers costumés, de chars fantasques et du fameux bœuf gras, semble évoquer quelques rituels païens archaïques.
La renaissance d’un site
Cette célébration tomba en désuétude après 1945, tout comme les abattoirs de la Villette et de Vaugirard. En effet, suite aux progrès de la frigorification, le bétail pouvait être abattu sur le lieu de l’élevage, puis acheminé sans que la viande pourrisse lors du fret. Des complexes comme ceux de la Villette ou de Vaugirard s’avéraient ainsi désuets face aux progrès du monde contemporain.
En 1974, puis 1975, les sites de la Villette, puis de Vaugirard fermèrent leurs portes. Détruit en 1978, ce second lieu fut remplacé par l’actuel parc en 1985. Ce jardin porte le nom de George Brassens car l’illustre chanteur séjourna à proximité, au n°42 de la rue Santos-Dumont.
De nos jours, l’espace vert conserve de nombreux vestiges des anciens abattoirs que vous pouvez découvrir en y flânant…
Un site à découvrir
De l’entrée principale rue des Morillons, subsistent les pavillons latéraux et les deux arcs surmontés de taureaux en bronze. Juste après cette monumentale entrée, se dresse devant vous l’ancien beffroi du marché à la criée.
Au nord-est du site, rue Brancion, demeurent les vestiges du marché aux chevaux, édifié en 1907. L’ancien hangar à fourrage, au croisement des rues Brancion et Morillon, abrite désormais une crèche, ainsi que l’entrée du marché, indiqué par une arche dont émerge une tête de cheval.
Le grand hall du marché où les équidés demeuraient, exposés aux regards des acheteurs potentiels, abrite désormais le Marché du livre ancien et d’occasion. Au 106, rue Brancion subsiste l’ancien bâtiment des services vétérinaires, également l’un des vestiges du marché aux chevaux. En témoigne une inscription « Anno 1907« , supplantant un buste équin.
Les reliefs rue Brancion s’avèrent ceux de vétérinaires et de zoologistes illustres. Un monument aux morts rend également hommage aux bouchers décédés lors de la Grande Guerre.
De nouveaux emplois
Après l’entrée du parc, place Romain Gary, contemplez en contrebas les vestiges de la Petite Ceinture qui acheminait les bêtes jusqu’au site. Près du théâtre Montfort, vous pouvez d’ailleurs y observer le quai de déchargement, relique de l’ancienne gare du site, de nos jours inaccessible.
Espace vert, crèche communale, marché aux livres, théâtre… les vestiges des anciens abattoirs furent judicieusement reconvertis, offrant aux habitants de nombreux services tout en préservant ce précieux patrimoine, trait d’union entre le passé et le présent.
Légende première photo : Entrée d’un troupeau de bovidés rue des Morillons en juin 1944. In. Langlois, Pierre : Mémoire des rues, Paris 15ème arrondissement (Parigramme, Paris, 2015)
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Merci pour ces histoires ! Celle des abattoirs me paraît la plus émouvante grâce à ce qui a été conservé de l’ancien établissement et que votre texte invite à enrichir mentalement. Rien de tel par exemple aux usines Citroën, ce qui me paraît cruel.
Pour l’Imprimerie Nationale c’est plus compliqué, car le bâtiment a résisté mais ne se ressemble plus, de même que le jardin.
Bonjour , j’ai vecu mes 4 premieres années aux abattoires de Vaugirard mes parents etaient logés dans la maison de gardiens , il me restes beaucoup d’images en tete .