L’aspect mystérieux du lieu est renforcé par une clôture qui fait subir au badaud un véritable supplice de Tantale. Le visiteur contemple à travers la grille la beauté de l’endroit, alors que ce même obstacle interdit au promeneur de s’y aventurer.
Découvrez l’histoire fabuleuse de cet endroit mystérieux. Changez d’air et d’ère : bienvenus au passage Dantzig, à la Ruche, cité d’artistes !
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D’un événement mondial à un autre (1900-1945)
La naissance du royaume de la Ruche
Fils d’un paysan champenois, ce paysage champêtre devait évoquer à l’artiste quelques souvenirs d’enfance.

Il acheta ainsi au tenancier du bistrot Le Dantzig un vaste terrain vague attenant pour une somme dérisoire, ignorant encore l’usage qu’il en ferait.
Après la manifestation, les pavillons pittoresques furent démantelés. Alfred Boucher eut alors une idée. Il se porta acquéreur de quelques-unes de ces structures pour édifier une cité d’artistes à l’emplacement de sa parcelle abandonnée.
Le sculpteur acheta tout d’abord le Pavillon des vins de Bordeaux, dessiné par Gustave Eiffel. Ce bâtiment servit d’ossature pour la construction de la rotonde, élément principal et emblématique du complexe.

Le sculpteur se procura également d’autres éléments de l’événement, dont la belle porte du Palais de la Femme. Cette dernière fût intégrée dans le portail d’entrée de sa cité d’artistes. Enfin, deux reliefs, provenant du pavillon des Indes néerlandaises, se répartissent de chaque côté de ce seuil.
Indubitablement, la Ruche porte l’empreinte du foisonnement artistique de la fin du 19ème siècle et de ses contradictions, oscillant entre classicisme académique et innovation architecturale. Les caryatides veillant sur l’entrée de la rotonde ne rivalisent-elles pas avec les arabesques en fer forgé ?
Les prolifiques abeilles qui peuplèrent bientôt le lieu portèrent également cette richesse et cette ambivalence artistique.
La Ruche, creuset artistique
La Ruche fût inaugurée en grande pompe en 1902. Pour cette occasion, Alfred Boucher a certainement exposé le rôle humaniste que la cité devait jouer.

Alfred Boucher recueillait tous les artistes, sans aucune discrimination. Ainsi, de nombreux talents d’Europe de l’est, fuyant les pogroms ou la misère, s’y installèrent.
Devant cet afflux d’artistes français et étrangers, ce sanctuaire culturel s’étendit rapidement, bien au-delà de son espace actuel. Des écrivains et des acteurs demeuraient également en son antre. Louis Jouvet s’illustra dans sa jeunesse sur les planches du théâtre de la Ruche, désormais disparu.
La cité elle-même fût un sujet d’inspiration pour certains artistes. Blaise Cendras lui rendit hommage avec le poème Atelier.

Cette fourmilière était un lieu d’apprentissage, mais aussi de passage ! Quand les artistes réussissaient à acquérir argent et notoriété, ils partaient de la cité pour vivre dans des ateliers plus confortables près de Montparnasse.
La Ruche : Liberté, précarité, fraternité
Les plus défavorisés pouvaient effectivement compter sur l’entraide qui régnait en ces murs. De plus, quelques mécènes et bienfaiteurs vivaient dans la cité et apportèrent leur aide : Victor Libion donnait des cours de français, tandis que les époux Ostroun offraient toujours une tasse de café dans leur restaurant bon marché derrière la rotonde et ses modestes ateliers.
Puis, après la guerre, Alfred Boucher fut oublié et son œuvre délaissée. Moins populaire, les artistes se détachèrent du lieu, même si le talentueux Chapiro s’y établit en 1925.

En ces temps troubles, la Résistance, avec le soutien des pensionnaires de la Ruche, dissimula des armes dans ce refuge.
La cohabitation entre artistes et artisans fut souvent malheureuse. Janine Warnod, dans La Ruche et Montparnasse, narre les mésaventures de Juan Fin, neveu de Picasso, qui s’y installa en 1946. Le peintre travaillait à la lueur de la lune, au grand désarroi des bouchers qui se couchaient tôt et étaient dérangés par ses activités nocturnes.
Mais la Ruche allait bientôt connaître une Renaissance…
La Ruche, entre péril et grandeur (Depuis 1946…)
Une remarquable Renaissance
Nous pouvons d’abord mentionner le trio de mosaïstes Lino Mélano, Luigi Guardili et Léonard Leoni qui naquit en ce lieu et y vit toujours.
Cette trinité réalisa de nombreuses fresques destinées, entre autres, à d’anciens locataires de la Ruche nommés Chagall ou Léger.
Privilégiant les sujets concrets à l’abstraction, ils renouaient avec des thèmes picturaux humanistes, comme s’ils désiraient poursuivre l’œuvre des Impressionnistes.
Vous pouvez d’ailleurs découvrir ce groupement d’artistes et leurs œuvres grâce à l’exposition du musée Mendjisky-Ecoles de Paris : Les insoumis de l’art moderne – Paris, les années 50.
Malgré ce renouveau artistique prolixe, la Ruche affronta un ultime péril…
Un patrimoine en danger
Après la guerre, la Ruche demeurait un endroit insalubre et délétère. Son site officiel qualifie le lieu à cette époque de « bidonville englué dans un terrain boueux ». Dès 1955, elle fut menacée de destruction. La cité d’artistes semblait définitivement perdue quand, en 1966, les héritiers d’Alfred Boucher décidèrent de revendre les bâtiments.
Une société d’immeubles HLM achète la Ruche en 1967 pour bâtir à son emplacement des cages à lapin et un parking.

Sous l’impulsion de Simone Dat, Francis Biras et Élizabeth Dujarric, un comité de sauvetage se forma rapidement. Chagall devint son président. Ce collectif parvint à interpeller André Malraux qui bloqua le permis de construire.
L’argent collecté ne suffisait guère. La famille Seydoux apporta les fonds manquant et acquit ainsi la Ruche.

La photographie ci-dessus présente la toiture en fer forgé de la Rotonde, témoin de l’art de la Belle Époque.
Un hymen heureux
La cité apparaît comme un havre, où les artistes s’y épanouissent. En échange, les locataires participent activement à préservation du lieu. Ils parent également l’endroit de certaines de leurs œuvres.

La Ruche, un atelier des curiosités… célèbre et célébrée en dehors de l’Hexagone…

L’éminent galeriste japonais et francophile Chozo Yoshii, décédé il y a 3 mois, construisit une réplique de la rotonde et de son portail… à Kiyoharu, dans son pays natal !
La Ruche cessera-t-elle un jour d’inspirer les artistes du monde entier ?
Pour en savoir plus…
Tout d’abord, un grand Merci à Rodolphe Caballero et Léonard Leoni, dont la gentillesse de l’un n’a d’égal que l’érudition de l’autre. Merci aussi à Emmanuel de Saint Leger pour ses belles photographies de la Ruche.

Références bibliographiques :
- Jacques Chapiro, La Ruche, Flammarion, Paris 1960
- Jeanine Warnod, La Ruche et Montmartre, Exclusivité Weber, Genève-Paris 1978
- Dominique Paulvé, La Ruche, un siècle d’art à Paris, Gründ, Paris, 2002
- Catalogue d’exp. La Ruche, cité d’artistes au regard tendre, Musée du Montparnasse 2002
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Bravo et merci pour cette belle page ! J’organise pour un groupe d’amis samedi 20 janvier une visite du village. Peut-on pénétrer dans la Ruche ? Au moins pour un coup d’oeil ?…
Merci de votre réponse et encore bravo pour votre page.
DG
Bonjour, merci beaucoup pour votre message. Normalement, la Ruche est fermée au public. N’étant pas gestionnaire du lieu, nous ne pouvons pas vous en dire plus. L’édifice est tout de même visible depuis la rue. Bonne soirée